Il est temps de mettre les choses au clair.
Dans une semaine sortira enfin dans ce pays de malheur le très attendu Nine. Le monde entier a les yeux rivés sur Penélope Cruz et Marion Cotillard, et moi j’ai envie de lui signaler, au monde, que ce film inclut également des noms légendaires tels que Sophia Loren ou Judi Dench. Alors certes, Sophia Loren ressemble aujourd’hui à la Reine des lézards de la planète V, et Judi Dench n’a pas la chance de sortir avec Javier Bardem ni Guillaume Canet, mais cette indifférence générale vis-à-vis de tout ce qui a eu le malheur de dépasser la quarantaine me désole. Parce qu’accessoirement, dans Nine, il y a aussi la plus grande actrice du monde.
-Qui ça? Meryl Streep? Cate Blanchett?
Et oui, de nos jours, lorsque quelqu’un commence à parler de meilleure actrice du monde (un être civilisé, pas un bouseux qui se pignole sur Megan Fox), seuls deux noms émergent: Meryl Streep et Cate Blanchett.
Je ne conteste pas que La Streep soit une déesse. Son talent est incontestable, sa filmographie est riche en rôles mémorables, et son quotient sympathie est presque surnaturel. Mais depuis dix ans qu’elle règne à nouveau sans partage au sommet de la chaîne alimentaire hollywoodienne, combien de performances marquantes? Personnellement, je n’en compte que deux (Adaptation. et Le Diable s’habille en Prada), dont l’une dans un film qui est loin d’être un chef d’oeuvre. Et pour ces deux pics, auxquels on peut ajouter de belles prestations dans The Hours et A Prairie Home Companion, combien de caractérisations mal calculées (Doute), de numéros de cabotinages éhontés (Pas si simple, The Manchurian Candidate), de caricatures grossières (Rendition, Lions for Lambs), d’égarements apocalyptiques (Mamma Mia) ? Soyons honnête, cela fait longtemps que Meryl Streep n’a plus besoin d’être bonne pour que le monde entier s’extasie sur son génie comme le prouve sa seizième (!) nomination à l’Oscar cette année pour le pas franchement inoubliable Julie & Julia. Et peut-on enfin admettre qu’à côté de ce qu’elle nous sert aujourd’hui, Jack Nicholson passerait presque pour un tenant de de l’underplaying? Donc actrice de la décennie, sûrement pas.
Plus surprenante encore est l’absence totale d’objectivité en ce qui concerne Cate Blanchett, qui ne bénéficie pourtant pas de l’ancienneté et des succès passés de la Streep. Certes, Blanchett à un physique et un charisme de reine, et un talent unique, mais, depuis le début de sa carrière, ses bons rôles se comptent sur les doigts d’une main d’estropié. Elizabeth I, Katharine Hepburn, Bob Dylan. A quoi on peut ajouter une savoureuse apparition dans Le Talentueux Monsieur Ripley. Le reste? Figuration de luxe (Le Seigneur des anneaux), performances interchangeables dans croûtes pompeuses (Babel, Benjamin Button), erreur de casting flagrante (Chronique d’un scandale), plantades d’auteurs confirmés (La Vie Aquatique, The Good German), démesure mal contrôlée dans superdaubes à Oscars (The Shipping News, Elizabeth: L’Age d’Or) et catastrophes totales (Indiana Jones et la Problémance de whatever). J’ai beau admirer Cate Blanchett, ses choix de carrière me laissent trop souvent de glace.
Alors qui?
Quelle actrice, aujourd’hui, peut se targuer d’avoir été immortalisée par le plus grand cinéaste du monde? Et d’avoir eu le dernier mot -mythique- de son oeuvre monumentale?
Quelle actrice a été l’incarnation ultime des ravages de la télévision, insupportable cruche ambitieuse brossée avec un humour féroce, dans le film le plus jouissif de Gus Van Sant?
Quelle actrice, sublimée par l’immense Jane Campion, fut, vibrante de désir et de sensibilité, l’une des plus inoubliables héroïnes Jamesiennes du cinéma?
Quelle actrice a rappelé au monde ce que voulait dire le mot STAR en étincelant de mille feux au coeur du chef d’oeuvre délirant qui a relancé le musical?
Quelle actrice a montré l’étendue de son talent en habitant l’âme damnée, aussi terrifiante que bouleversante, de la plus belle histoire de fantôme de la décennie?
Quelle actrice a dépassé le combo biopic-maquillage-enlaidissement pour s’approprier Virginia Woolf de l’intérieur avec une intensité fracassée, et a, une fois n’est pas coutume, mérité son Oscar?
Quelle actrice a osé se livrer corps et âme à un fou furieux, au plus dangereux de tous les réalisateurs, pour un projet radical que jamais aucune star de son acabit n’avait eu l’audace (ou l’envie) de tenter jusqu’alors?
Quelle actrice n’a jamais eu peur d’incarner des personnages fondamentalement désagréables, lorsqu’un film ou un auteur en vaut la chandelle?
Quelle actrice a pris autant de risques sur des projets expérimentaux, qui, même lorsqu’ils sont ratés, restent captivants?
Quelle actrice, au cours d’un gros plan phénoménal de plusieurs minutes, a réussi à exprimer un millier d’émotions à la seconde avec une clarté vertigineuse, dans un chef d’oeuvre secret qui contient l’une des plus extraordinaire performances de la décennie?
Il n’y en a qu’une, et c’est sans doute l’actrice la plus critiquée, la plus méprisée, la plus honnie d’aujourd’hui.
Pas tous les jours facile d’être la meilleure.